TRANSCRIPTION part de l’envie de travailler avec un groupe d’habitants dans un périmètre spécifique de Bruxelles : celui qui entoure le Centre d’accueil pour demandeurs d’asile du Petit-Château. A cheval sur différents quartiers, il fait se rejoindre le Parvis Sainte-Catherine, le boulevard d’Ypres (1000 Bruxelles) et le Parvis Saint-Jean-Baptiste (1080 Molenbeek). C’est une zone urbaine hétérogène qui nous invite, peut-être plus qu’une autre, à reconfigurer nos points de repère, à distinguer de nouvelles relations ou frontières urbaines et sociales, et à trouver notre place dans cette partie de la ‘ville-monde’ qu’est Bruxelles.

Pendant trois semaines en juillet dernier, avec un petit groupe de 15 bruxellois de longue date ou nouveaux-arrivants, avec des âges, origines, problématiques ou statuts différents, nous avons fait de cette zone urbaine notre périmètre de jeu. Nous avons cherché à y inscrire nos corps, nos histoires, nos habitudes ou nos luttes, à travers une pratique artistique interdisciplinaire et ouverte. En dessinant un territoire qui n’avait de contours que pour nous, il s’agissait d’habiter autrement un périmètre que nous partagions déjà au quotidien.

Nous sommes alors partis à sa conquête. D’abord par l’exploration, le marquage, l’appropriation. Puis par le jeu et l’action en espace public. Ces expérimentations ont été conduites collectivement et individuellement, par une série d’improvisations filmées, par le développement de figures imaginaires (alias) ou encore par des inscriptions sauvages dans le périmètre, une visite guidée du quartier, etc. Nous avons cherché des rapports différents à la ville en travaillant à partir de l’identité mixte du groupe et de ce qui le compose: ses vécus, points de vue, cultures et langues, ses différentes logiques d’intégration ou de reconnaissance légale. Des problématiques qui nourrissent en même temps qu’ils mettent au défi le projet artistique participatif.

Comment déréaliser ensemble ce périmètre et le réinvestir d’autres lieux géographiques et mentaux ? Comment créer un territoire dans lequel convoquer d’autres territoires, lointains ou passés, réels ou imaginaires, où peuvent venir se superposer des parcours, pratiques et souvenirs que l’on apporte de son lieu de vie d’origine et que l’on fait revivre dans le quotidien Bruxellois ? A la manière d’une île urbaine dont les frontières glissent, les couches se mélangent, où d’autres villes viennent se confondre avec celle de Bruxelles.

A la tête de cet autre territoire, une assemblée de femmes converse longuement sur le Congo qu’elles ont quitté.
Sur la place du Béguinage, le marché de Kinshasa.
Dans une plaine de jeux, un arbre à palabres où venir dialoguer en cas de conflits.
Dans les rues, une série d’alias s’agitent. Ils attendent peut-être la résolution d’un film d’action, d’une tension sociale ou d’une politique migratoire.
Quelque part sur le canal, entre les pirogues et la place communale de Molenbeek, flotte un site protégé où conserver les objets ramenés des pays d’origine des habitants de Bruxelles.

Les propositions de ces trois semaines n’ont pas toujours laissé de traces et nous en partageons ici seulement une partie. Les éléments vidéo, textuels ou cartographiques présentés proposent plutôt un dialogue entre la restitution de ce processus participatif et les questionnements qui en ont résulté. Ils interrogent la place qu’il est possible de prendre dans la ville lorsqu’on ne partage pas ses règles urbaines ; les difficultés à mener un projet artistique face aux préjugés et discriminations que font surgir avec elle l’intervention en espace public ; les rapports de pouvoirs ou privilèges qui se jouent dans un territoire où l’injustice sociale demeure une réalité quotidienne.
Plus simplement, l’installation met aussi à disposition un espace où se préparer, débriefer, s’asseoir et écouter, à l’image du lieu de travail rue de Flandre qui nous a servi de point d’ancrage pendant ces trois semaines.