Humour noir et frissons de plaisir

Michel Voiturier - Rue du théâtre (31 août 2013)

Deux galopins adorent se raconter les histoires les plus horribles, pour se faire peur, pour mieux se rassurer ensuite. Amateurs de monstres, apprêtez-vous à frémir ! Jouisseurs d’ululements pour nuits sans lune, préparez-vous aux frissons !

L’attirance envers les monstres n’est pas fascinante uniquement pour les enfants. Les adultes aussi adorent les histoires de vampires, de loups-garous, de fantômes. Alors quand les plus jeunes s’enfoncent dans ce genre de divagations, cela peut aller loin, dans la mesure où c’est une façon ludique et cathartique de dépasser les interdits, d’aller au-delà des tabous.

Voici donc ce que réalisent ces historiettes, inégales en qualités, conçues par la Québécois Étienne Lepage. Tout dans ce spectacle relève du jeu. À commencer par les éclairages qui font part belles aux lampes de poches, aux lumières clignotantes ou vacillantes. À continuer par des cris poussés dans l’obscurité totale.

Entre Patricia et Damien, ces deux petits vauriens, la complicité est complète. Chacun connaît ce qui effraie l’autre. Chacun propose à l’autre ce qu’il espère. Et si c’est plutôt grinçant, c’est en tout cas toujours drôle pour autant qu’on apprécie l’humour noir et la logique de l’absurde. Car ici, on frôle le cynisme, on égratigne la morale convenue, on ébranle les tabous et les comportements socialement trop corrects. On se donne la possibilité d’exorciser les apparences hypocrites.
Comme en train fantôme sur champ de foire
Le rire est géniteur de hoquets de plaisir. Le rire se définit comme bâtard du cri. L’obscurité réconcilie effroi et besoin de rassurante sécurité, paradoxe sur lequel parie la mise en scène d’Anne Thuot. Elle utilise la lumière en tant que partenaire essentiel des comédiens. Ils la manipulent grâce à leurs lampes torches, grâce à des interrupteurs dispersés sur le plateau.

L’espace se module selon les nécessités des séquences. Fluctuant, mobile, extensible dans l’étirement comme dans le rapetissement, il ajoute sa malléabilité à la présence physique des interprètes. Annick Duret et Eno Krojanker s’ébrouent à l’aise dans cet univers de mystification où chaque narration en engendre une nouvelle.

Ils pratiquent la démesure avec jubilation et entraînent leur public à adopter les créatures qui surgissent, tout en se moquant allègrement des inventions auxquelles ils font mine de croire sans être dupes. C’est pour cela d’ailleurs que la présence épisodique et par instants trop appuyée d’un animal hirsute issu de quelque film de série B s’avère superflue.