Au mois de juin, pendant une ballade autour du Varia, on est tombé sur un panneau décrivant la Renouée du Japon (Fallopia Japonica) comme une puissante colonisatrice, une coriace. Elle y est taguée d’ennemie, en légende de photo, et pour finir, la punchline : Mais on l’aura !

On a décidé d’aller y voir de plus près.
De mener l’enquête.
De la chercher la renouée du Japon le long des voies ferrées, dans les jardins ou les zones de chantiers.
De la questionner, directement.

C’était une rencontre inattendue, la Fallopia, au croisement de la Rue des Deux Ponts et de la Rue de Gray, on ne la connaissait pas. On a été saisi par la manière dont on parlait d’elle, par le vocabulaire choisi. C’était louche, non ?
On l’a alors laissée se déployer, la Renouée, dans notre paysage mental, envahir de ses rhizomes, proliférer.
Elle nous a rapidement lancés des énigmes avec ses noms inventifs l’herbe au mille noeuds en néerlandais (duizendknoop) la beauté cramoisie ou la rhubarbe des ânes en anglais (cresson Beauty et donkey rhubarb) ou l’ôte-douleur en japonais (Itadori);
et puis, invités, sous ses larges feuilles ovales, ses tiges robustes et ses fleurs de septembre. Elle a composé un sous-bois urbain, pour traîner, gratter la terre, observer ; on s’est senti en terrain familier au milieu de ses talus, protégé et en pleine force, comme elle.

Liliana Motta, artiste argentine, explique que la Fallopia lui a permis de faire le lien manquant entre elle et les autres. Et que depuis qu’elle l’a croisée dans un village de la Nièvre où une personne lui a désigné la plante comme une saloperie, elle la collectionne avec ses cousines, frères… à savoir, l’ensemble des polygonacées (les herbes aux multiples genoux). C’est devenu sa famille d’adoption, le prolongement de ses vies secrètes et silencieuses.
On s’est alors demandé, pour nous, de quoi elle était le levier cette rencontre végétale, un après-midi de printemps 2022; ce qu’elle agitait, changeait, ce que l’attachement soudain et galopant, racontait.

Qu’y a-t-il à nouer − dénouer ou renouer − entre le Varia et son quartier − on aimerait pouvoir dire : entre Ixelles-Couronne et son théâtre ? De quoi ces liens sont-ils faits ? En quoi sont-ils à parfaire ? C’est à travers la matérialité de cette plante rencontrée, sa cartographie, ses rhizomes que ces questions s’inventent et se dialoguent.

On n’est pas des spécialistes, des botanistes par exemple ou des généticien·ne·s. Notre terrain de jeu, c’est pas les laboratoires mais plutôt les délaissés urbains, celleux vivant dans les marges, dans les friches. C’est là qu’on regarde, qu’on étudie ; qu’on mène des expériences.
Depuis quelques semaines, on la suit, la vit, la Renouée du Japon.
On la goûte aussi.
On lui lit des extraits du Baron perché d’Italo Calvino − Côme, à 12 ans, suite à une dispute avec ses parents, quitte la table et décide de vivre dans les arbres, toute sa vie.
On tente de devenir les chèvres qui en broutent les jeunes pousses, au printemps, pour en freiner l’expansion.
On en sent l’odeur, les aspérités.
On se demande comment tenter d’autres usages, tout en (re)trouvant ses propriétés médicinales…

Ici, dans ce petit festival d’automne, on la partage, la Fallopia, variée et évolutive, à travers des essais, découvertes, rituels menés aux alentours du Varia.

C’est d’ailleurs en septembre qu’elle fleurit, avant l’hiver, où elle sèche et disparaît, avant le printemps. Tout au long de la saison à venir, dans les interstices de la programmation, on observera ses métamorphoses à la Renouée, les nôtres et celles du quartier.

Des tentatives de poser de nouveaux regards sur ce biotope si particulier et multiple. De travailler à de la porosité, de développer la contagion. Pour laisser place à l’imprévu et à d’autres initiatives, nouées.

C’est une rencontre au final, que l’on vous propose de faire !

Anne & Aurélien