Faire le trottoir sur le plateau

Laurence Van Goethem - blog.alternativestheatrales.be (30 janvier 2017)

A propos de "Looking for the putes mecs" d'Anne Thuot et Diane Fourdrignier

Alors que je me trouve à Téhéran, je ne peux m’empêcher de repenser à ce spectacle vu à La Balsamine (Bruxelles) récemment. Anne Thuot et Diane Fourdrignier y investiguent notre rapport au désir et à la sexualité avec une insolence salutaire. Lors d’une soirée d’anniversaire sans doute bien arrosée, elles se sont mis en tête de se trouver un prostitué, un homme, pour elles.

Leur quête « acharnée » se muera rapidement en enquête, in situ, de visu, à Avignon et à Bruxelles, et ensuite sur scène, en direct avec les spectateurs : un work in progress dont le public profite dans un cadre chaleureux et presque confidentiel.

Après Décris-Ravage et La Convivialité  et, la « conférence gesticulée » ou « conférence – performance » a le vent en poupe sur nos scènes. Lorsqu’elle est bien menée, cette forme a le don de captiver.

Les performeuses Anne Thuot et Diane Fourdrignier utilisent pour leur « démonstration » des enregistrements audio (par exemple, un appel téléphonique) et lisent à haute voix un document tenu à la main, sur-théâtralisant exprès le côté « conférence », ce qui permet de souligner d’emblée la subjectivité du discours. Tout au long de la soirée, le public est invité à poser (ou répondre à) des questions, des actions (y a-t-il un volontaire qui embrasserait Anne pour 20€ ?)…

Dans la salle, on se détend (à l’aide d’un petit verre d’alcool aussi), et les femmes sont (pour une fois) en position de « domination ». Elles peuvent, par exemple, si elles en éprouvent le désir (car c’est bien ici le sujet), rejoindre en toute intimité un gigolo dans une pièce derrière le plateau, en traversant la scène. C’est là que la performance prend tout son intérêt, parvenant à intégrer littéralement le.a spectateur.trice dans le théâtre en train de se faire.

Que se passe-t-il derrière ces deux portes, situées l’une à cour et l’autre à jardin ? Une belle façon d’activer notre imaginaire et de fouiller les recoins obscurs de notre conscience. A droite – RIGHT RIGHT RIGHT – nous souffle-t-on à l’oreille par l’intermédiaire de puissants baffles ; qu’est ce qui nous attend à droite au juste, mais est-ce bien JUSTE JUSTE JUSTE?

De montrer son désir et de pouvoir l’assouvir en temps réel, comme peuvent le faire les hommes depuis la nuit des temps ? C’est évidemment plus complexe; quand l’une des deux téléphone à un gigolo pour prendre rendez-vous, il finit par demander à l’appelante de se décrire… Qui offre ses services à qui, finalement ?

De gigolo professionnel, il n’y en aurait qu’un en Belgique : Charles, de son (vrai) prénom. Et il a la classe. Il accepte toutes les femmes, son seul critère de refus est un manque d’hygiène ou des penchant violents.

Le spectacle se clôt en beauté avec, ce soir-là du moins, un très sensuel strip-tease d’Adrien Drumel.

Alors Abusus non tollit usum (L’abus n’exclut pas l’usage) ? Vu d’Iran, on se dit que le droit « d’objectiver l’homme » n’est pas la première priorité dans le combat pour l’égalité des droits… La route est longue mais elle en vaut assurément la peine. Et faire du théâtre, même sur le trottoir, peut, sinon la raccourcir, du moins la rendre plus joyeuse.