J’ai enduré vos discours et j’ai l’oreille en feu

Catherine Makereel - Le soir (06 novembre 2013)

On savait bien qu’avec Anne Thuot (issue, comme une bonne partie de son équipe, du turbulent collectif T.O.C.), on n’allait pas se reposer les mirettes devant une bonne vieille tragédie plan-plan. On se doutait bien que nous pendait au nez une pétarade scénique, une déconstruction systématique des codes du théâtre pour éclater les angles d’approche. On n’a donc pas été déçu face à « J’ai enduré vos discours et j’ai l’oreille en feu », inspirée (mais alors, très librement) de « La tragédie de la vengeance », pièce élisabéthaine de 1606.

Au départ, il y a l’histoire de Vindice et de son insatiable soif de vengeance suite au viol et à l’empoisonnement de sa fiancée. Comme toute bonne tragédie élisabéthaine, tout le monde meurt à la fin, mais ce n’est pas tant l’intrigue - fort confuse sous la baguette de Caroline Lamarche à l’écriture et Anne Thuot à la mise en scène – qui intéresse nos zigotos mais le détricotage de ses thèmes, en particulier celui du viol. C’est dans un haka guerrier que démarre la pièce, signe que l’on ne va pas prendre de gants pour dérouler l’intrigue. Les prémisses de l’histoire sont débattues autour d’une table, avec présentation en anglais, façon hollywoodienne, du casting. Suivront des allusions au bunga bunga et autres explications de texte décalées, des digressions pointilleuses pour savoir si la victime a été empoisonnée avant ou après son viol, quelques commentaires cyniques sur les personnages (« Vas-y pour te faire avorter en 1606 ! Pas étonnant que la plupart s’empoisonnent »), du charcutage de foie sanguinolent et autre viande fraîche pour illustrer la boucherie de l’histoire, une apparition, tronçonneuse rugissante à la main, pour finir d’évoquer le massacre.

On l’aura compris, les comédiens (Marie Bos, Alice Hubball, Francesco Italiano, Sara Sampelayo, Hervé Piron) ont pris le parti de la parodie, dans un style un peu brouillon et foutraque mais d’où ressortent tout de même de passionnantes réflexions. Ainsi, les allusions aux femmes de réconfort exploitées en Corée par les soldats japonais jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, ou les mimes dramatiques et muets d’une comédienne au corps malmené, à la voix bâillonnée, posent d’infinies questions sur des thèmes toujours actuels comme le viol.

La matière est foisonnante, absurde, bouillonnante, ultra physique et d’un humour omniprésent, mais manque encore de cohésion pour convaincre à cent pour cent. Dans une salutaire autodérision, le texte parle volontiers d’indigestion et de purge à propos de cette pièce, on a savouré même si on aurait aimé un régime un peu plus équilibré.